mardi 14 décembre 2021

L'arbre, roi des livres !






Rubrique coups de cœur précédant Noël ou chronique livresque, ce billet se déplie sous la forme d'un triptyque littéraire pour rendre hommage à trois romans tout verts ! Trois livres symphoniques qui nous viennent du continent américain, trois auteurs qui nous embarquent dans une odyssée saturée en chlorophylle, en senteurs d’humus et d’aiguilles de pin, cela mérite le détour de lecture, transformé en périple sensoriel. 

Pourquoi réunir ces trois pavés ici ? D’abord parce que les passerelles qui les relient sont multiples. Leurs auteurs originaires des terres d’Amérique (nom de la collection chez Albin Michel dirigée par Francis Geffard où figure Lorsque le dernier arbre), sont anglophones. Ils nous parlent de liens et de racines. Preuve s’il en fallait que ces œuvres figurent dans la catégorie poids lourds, leur volume est impressionnant. Ken Kesey, l’auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucous noircit 800 pages avec son second roman Et quelquefois j’ai comme une grande idée (titre original : Sometimes a Great Notion), tandis que le Canadien Michael Christie totalise 608 pages avec Lorsque le dernier arbre et l’Américain, Richard Powers, 550 pages avec L’Arbre-Monde. De mauvaises langues diront que leurs succès respectifs sont responsables de l’abattage de nombreux arbres pour transformer la précieuse cellulose en pages reliées. Mais ce serait ignorer les messages portés par les deux derniers parus dont les fibres végétales partagent les idées d'éthique de l'environnement, de service écosystémique, et de gestion durable des forêts.


Dans ces trois grands et gros livres, le souffle de la saga soulève les pages baignées de sève et de sueur, et révèle un temps où des générations d’hommes et de femmes vivaient (ou vivent encore ?) de la sylviculture. C’est que l’on ne saurait réduire la forêt à un piège à carbone ou à une source d’énergie renouvelable. Son histoire précède celle de l’humanité pour cheminer ensuite avec cette dernière. Et ce n’est pas un hasard si deux de ces trois romans empruntent à l’arbre sa structure. 



Lorsque le dernier arbre se construit selon les cernes concentriques du bois avec un sommaire en forme de coupe transversale pour visualiser les années clés des quatre générations de personnages qui composent ce roman entre 1908 et 2038. Idée géniale qui permet de faire des aller-retours de géants entre les époques. L’Arbre-monde, lui, choisit la verticale pour s’épanouir du sous-sol jusqu’au ciel, en quatre parties : «racines», «tronc», «cime» et «graines». Ces deux romans s’enracinent dans le Nord-Ouest de l’Amérique et partagent une vision historique de l’exploitation forestière sur le plus très nouveau continent. Ils font tous deux référence, plus ou moins directement, à ce moment charnière des années 90 où la sylviculture se métamorphose en exploitation intensive et où des ONG luttent contre la destruction de la forêt primaire avec l’énergie du désespoir. 


Et quelquefois j’ai comme une grande idée fait moins vibrer la corde écologique du lecteur et pour cause ! Son auteur, Ken Kesey, le publie en 1964. Il se situe lui-même entre la Beat Generation (il a d’ailleurs rencontré Jack Kerouac and Allen Ginsberg dans les années 60) et le mouvement hippie. Saga de la famille Stampers, son deuxième roman s’attache au monde des forestiers et en particulier, à celui d’une petite entreprise familiale qui s’avère un vrai clan de bûcherons. L’omniprésence de l’eau et de la forêt, les conflits de pouvoir et les relations humaines dans une petite communauté de l’Orégon, le bûcheronnage encore à taille humaine, et la lutte contre les forces de la nature saisissent le lecteur avec une aisance endiablée.


Représentants d’une littérature “biotopique”, ces trois romans questionnent la relation entre la forêt et les hommes qui y travaillent, de leur combat pour une survie économique à la déforestation suicidaire. Ils sont aussi de formidables kaléidoscopes de vies humaines entrelacées comme les branchages d’un même arbre.


Barbara Marshall


Lorsque le dernier arbre (Greenwood)

Michael Christie

Éditions Albin Michel, collection Terres d’Amérique, 2021.

Traduit de l’anglais canadien par Sarah Gurcel.


L’arbre-monde (The overworld)

Richard Powers

Éditions du Cherche Midi, collection Ailleurs Cherche Midi, 2018.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Serge Chauvin.


Et quelquefois j’ai comme une grande idée (Sometimes a Great Notion)

Ken Kesey

Éditions Monsieur Toussaint Louverture, 2013.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Antoine Cazé.