samedi 17 avril 2021

Un printemps empêché

Le gel vient de causer des dégâts énormes. Tandis que les arboriculteurs et les viticulteurs en constatent l’étendue sur les bourgeons et les fleurs, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec la culture, celle que l’on affuble souvent d’un grand C. Les cultures souffrent, la culture dépérit, des pans entiers de notre société sont touchés par un retour de manivelle dramatique, une vague terrible, qui fait très mal.

On aime parler de redoux parce que ce mot sonne à l’oreille comme une promesse enfantine d’une chaleur rassurante et naturelle. Comment qualifier ces soubresauts violents d’un hiver qui a figé nos réunions de famille, nos fêtes, nos rituels et qui, trop souvent a pris des vies et des promesses ? Le printemps tarde à s’installer. Sans doute laisse-t-il percer de-ci de-là des tâches de couleurs et de lumière, mais sa vulnérabilité reste palpable. Surtout, chacun a bien conscience qu’un coup de gel suffirait pour que la vie s’arrête dans un hoquet. 

 

 

Le monde de la culture est en panne depuis plus d’un an, empêché dans l’exercice de son art. Le froid glacial a tué certains artistes aussi sûrement qu’un arrêt du cœur. L’horizon n’est guère encourageant lorsque l’on est qualifié de non essentiel… Et pourtant, lequel d’entre nous se satisfait de sa seule fenêtre ? Celles et ceux qui ouvrent les lucarnes, qui repoussent les frontières imaginaires, qui tissent inlassablement ces liens invisibles entre humains, restent pour la plupart interdits. Leurs voix ne nous hissent plus dans la stratosphère, leurs vibrations ne créent plus ce sentiment d’appartenance à une seule humanité. Volontairement, je n’évoque pas la culture en boîte, bobine ou « replay » qui, sans rassasier, nous pose un sparadrap sur le manque et nous file un coup de blues lors de la digestion, nostalgie oblige.

Ce qui nourrit chacun d’entre nous, qu’il en soit conscient ou non, court un danger mortel. Plus que tout autre, l’art du spectacle vivant risque de crever. A ce titre, l’occupation de certaines salles de théâtre devrait nous alerter. Le désespoir des comédiennes et comédiens rejoint celui des étudiantes et étudiants ; c’est l’ensemble d’une jeunesse empêchée qui s’éteint à petit feu ou rue dans les brancards. Quelle société laisse dépérir la diversité de ses graines d’avenir ? Quelle dystopie privilégie la consommation de masse au détriment de la créativité ? Si la culture est ce qui nous permet de penser (panser) autrement, l’uniformité nous guette.

Qu’il soit levier révolutionnaire, moteur de floraisons, ou source d’histoires d’amour, le printemps représente une force puissante de renouveau. Une force sans laquelle nous ne pouvons vivre.

 

Barbara Marshall

 

https://www.youtube.com/watch?v=yP_zFVHtcFo