lundi 20 mai 2019

"La Galerie du temps" du Louvre-Lens ou l'Odyssée



Des maisons d’ouvriers, une rue ordinaire, la teinte rouge brique qui réchauffe l’esprit sous le ciel métal,  et c’est déjà la pancarte indiquant « Le Louvre Lens », après le stade. Les trottoirs sont déserts, l’endroit improbable. On suit le fléchage jusqu’au parking.

Puis, une allée autour de laquelle des jardiniers s’activent, monte vers un plateau où béton et ilots de verdure se partagent l’espace. 
 
La structure de verre, aérienne et suspendue sous les nuages de ce lundi de mai n’écrase pas l’horizon, elle paraît flottante au-dessus de la nature, installée depuis toujours et se fondant grâce à sa transparence à la voûte nuageuse. On sent que ce Louvre-là se veut accueillant, ouvert dans le respect de son environnement. La suite ne le démentira pas. 

Le verre domine dans le vaste hall d’entrée et à travers lui, la lumière baigne l’ensemble du bâtiment. Un groupe scolaire vient de finir la visite. Le guichet attend les visiteurs et l’absence de file d’attente accentue l’impression d’espace et de liberté de mouvement. 

 

On a le choix entre l’exposition permanente de la grande galerie, et celle sur Homère dont l’entrée coûte dix euros. L’auteur des deux odyssées fondatrices que sont l’Iliade et l’Odyssée aurait-il pu imaginer son cheval de Troie suspendu sous un dôme de verre ? 


L’immense salle d’accueil évoque une autre Olympe, loin de Polyphème le Cyclope et de Charybde, un abri lumineux et paisible sous le ciel agité du Nord. Nous choisissons la galerie du temps avec déjà, la promesse d’une nouvelle visite.


L’entrée de l’exposition permanente donne la sensation d’une plongée, l’espace avant d’accéder aux œuvres, légèrement en surplomb, évoque un promontoire. 

La découverte est un choc, sans images coups de poing ; le visiteur en prend plein la vue en un seul regard qui embrasse l’Histoire humaine grâce à ses représentations. Une salle unique, vaste et bordée de parois en aluminium brossé, matière qui rend les reflets aussi mystérieux que les nombreux objets disposés savamment dans un jeu de perspectives. 

Une frise du temps à droite, à la fois essentielle et terriblement discrète rappelle que tout commence à – 4000 ans avant notre ère, les traits verticaux représentant autant de repères quant à l’éphémère et à la diversité des civilisations jusqu’au 19ème siècle.


Les œuvres sont disposées dans l’espace à la fois en fonction de l’échelle du temps et de leur origine géographique. La visite navigue entre bassins de civilisation et repères historiques avec des diagonales visuelles surprenantes comme autant de passerelles, de traits d’union entre  les peuples et leurs Histoires. 

Une tête en pierre représentant le dieu égyptien Bès d’environ 700 avant JC fait écho à un scribe hiératique, les Deux pleurants du cortège funéraire du tombeau du duc de Berry par Jean de Cambrai ne sont pas si loin d’un fragment de peinture murale de Pompéi… 

Autant de relations imprévues entre chefs-d’œuvre, autant de regards croisés inhabituels comme s’ils traversaient ce « Jali », imposant écran de fenêtre à décor géométrique d’Inde du 17ème siècle.





A la sortie de la galerie, les courbes de verre accueillent à nouveau les visiteurs dans un entrelacs de nuages gris. 
La cafétéria présente des spécialités hors du commun pour un lieu qui ne l’est pas moins. Insolite, le cht’terril à la crème de marron invite dans une belle cohérence la culture régionale et ses corons à investir les papilles des visiteurs. 



Improbable, insolite, unique, le Louvre de Lens sait conquérir les curieux tout en revendiquant sa spécificité régionale ; il se présente comme le phare d’un continent culturel dans la région la plus pauvre de France (après la Corse) et, tout comme le bassin minier inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2012, revendique fièrement son identité au sein d’un tissu social fragile. 
La Galerie du temps n’est pas figée, son parcours se veut mouvant, à revisiter. Reste ce vertige d’une traversée de 5000 ans d’Histoire qui nous rend plus humbles et donc plus humains.

Barbara Marshall 

https://www.louvrelens.fr/