mercredi 27 mars 2019

La double lutte (suite et fin)


  Voilà, juste devant les trottinettes (cf. post précédent), ils sont là, les combattants d’Ousmane Sow… Je les imaginais plus grands, plus imposants. Le sculpteur sénégalais révélé à 50 ans et décédé en 2016 n’en est pas à son coup d’essai pour croquer un face-à-face musclé. Qu’ils soient armés de bâtons, de bracelets tranchants ou en corps à corps, les lutteurs appartiennent à la série « Nouba », en parallèle à celle des « Zoulou », des « Masaï » et des « Peulh », peuplades africaines choisies par l’artiste.
  Ce qui frappe l’esprit, place de Valois (Paris 1er), c’est l’intrication des corps dans un équilibre précaire. Les torses se collent l’un à l’autre dans une accolade improbable et inconfortable où les jambes arc-boutées, tendues à l’extrême, maintiennent la distance au sol. Les corpulences semblables, la chair aux contours hérissés comme si la terre venait d’accoucher en un bloc de l’œuvre (on en oublie le bronze), les traits des visages esquissés, et surtout, la promiscuité des silhouettes exacerbent l’impression de mouvement et de tension extrême tandis qu’une unité se dégage malgré tout de l’étreinte en torsade.


  Le tour de force réalisé par Ousmane Sow ne réside-t-il pas dans cette distinction des individus au sein d’une même densité de chair ? Leur opposition les rapproche, les rassemble et les fait se ressembler malgré eux ! On imagine des frères, des cousins, des voisins et de leur lutte, naissent des échos ancestraux auxquels se mêlent les histoires d’Abel et Caïn, de Remus et Romulus. C’est que ce corps à corps de par sa composition et sa dynamique, renvoie à la gémellité ou plus exactement au reflet de l’autre en miroir, et si un combat se livre devant nos yeux, c’est pour mieux interroger sur la place du vainqueur et du vaincu, sur la frontière entre amour et haine, autrement dit sur les contraires réunis en une seule figure. En évoquant dans un même temps la fraternité et la combattivité des hommes à travers la présence très physique d’une lutte, la sculpture provoque des résonances qui traversent les siècles et les cultures.
  Inévitablement, le regard contemporain pose aussi la question d’une lutte intérieure, de celle qui emprunte à la fois à la tempête sous un crâne de Victor Hugo et aux topiques psychanalytiques. L’issue ne saurait être fatale ; le combat s’apparente plutôt à une longue route qui, comme un pèlerinage, conduirait à un soi ressourcé une fois la ligne d’arrivée franchie. « Grâce à soi» et « malgré soi » cheminent cahin-caha, s’affrontent, se déchirent jusqu’à l’acceptation de l’unité. Mais avant d’arriver à ce but, il faut en passer par cette lutte interminable de nos opposés. 
Un seul regret qui est aussi un questionnement : je n'ai pas trouvé de plaque de présentation de cette œuvre, ni au sol ni sur les murs de la place de Valois...

« la lutte est une façon d’exister et de reconnaître l’autre. » Ousmane Sow

Couple de lutteurs corps à corps (bronze - série Nouba - collection des Abattoirs de Toulouse) d'Ousmane Sow
Place de Valois 75001 Paris