Voilà, juste devant les trottinettes (cf. post précédent), ils sont
là, les combattants d’Ousmane Sow… Je les imaginais plus grands, plus
imposants. Le sculpteur sénégalais révélé à 50 ans et décédé en 2016
n’en est pas à son coup d’essai pour croquer un face-à-face musclé.
Qu’ils soient armés de bâtons, de bracelets tranchants ou en corps à
corps, les lutteurs appartiennent à la série « Nouba », en parallèle à
celle des « Zoulou », des « Masaï » et des « Peulh », peuplades
africaines choisies par l’artiste.
Ce qui frappe l’esprit, place de Valois (Paris 1er), c’est
l’intrication des corps dans un équilibre précaire. Les torses se
collent l’un à l’autre dans une accolade improbable et inconfortable où
les jambes arc-boutées, tendues à l’extrême, maintiennent la distance au
sol. Les corpulences semblables, la chair aux contours hérissés comme
si la terre venait d’accoucher en un bloc de l’œuvre (on en oublie le
bronze), les traits des visages esquissés, et surtout, la promiscuité
des silhouettes exacerbent l’impression de mouvement et de tension
extrême tandis qu’une unité se dégage malgré tout de l’étreinte en
torsade.
Le tour de force réalisé par Ousmane Sow ne réside-t-il pas dans cette
distinction des individus au sein d’une même densité de chair ? Leur
opposition les rapproche, les rassemble et les fait se ressembler malgré
eux ! On imagine des frères, des cousins, des voisins et de leur lutte,
naissent des échos ancestraux auxquels se mêlent les histoires d’Abel
et Caïn, de Remus et Romulus. C’est que ce corps à corps de par sa
composition et sa dynamique, renvoie à la gémellité ou plus exactement
au reflet de l’autre en miroir, et si un combat se livre devant nos
yeux, c’est pour mieux interroger sur la place du vainqueur et du
vaincu, sur la frontière entre amour et haine, autrement dit sur les
contraires réunis en une seule figure. En évoquant dans un même temps la
fraternité et la combattivité des hommes à travers la présence très
physique d’une lutte, la sculpture provoque des résonances qui
traversent les siècles et les cultures.
Inévitablement, le regard contemporain pose aussi la question d’une
lutte intérieure, de celle qui emprunte à la fois à la tempête sous un
crâne de Victor Hugo et aux topiques psychanalytiques. L’issue ne
saurait être fatale ; le combat s’apparente plutôt à une longue route
qui, comme un pèlerinage, conduirait à un soi ressourcé une fois la
ligne d’arrivée franchie. « Grâce à soi» et « malgré soi » cheminent
cahin-caha, s’affrontent, se déchirent jusqu’à l’acceptation de l’unité.
Mais avant d’arriver à ce but, il faut en passer par cette lutte
interminable de nos opposés.
Un seul regret qui est aussi un questionnement : je n'ai pas trouvé de plaque de présentation de cette œuvre, ni au sol ni sur les murs de la place de Valois...
Un seul regret qui est aussi un questionnement : je n'ai pas trouvé de plaque de présentation de cette œuvre, ni au sol ni sur les murs de la place de Valois...
« la lutte est une façon d’exister et de reconnaître l’autre. » Ousmane Sow
Couple de lutteurs corps à corps (bronze - série Nouba - collection des Abattoirs de Toulouse) d'Ousmane Sow
Place de Valois 75001 Paris