mercredi 2 août 2023

Les oiseaux et leur chute


Une chronique littéraire sur les oiseaux ? Pas n’importe lesquels : de drôles d’oiseaux qui nous emportent dans leurs horizons, nous interpellent, et nous font réfléchir en prenant leur parti. Le “nous” faisant référence à l’espèce d’humains que nous sommes : un homo tellement sapiens* qu’il mute en homo deus**.  

En premier lieu, je vous recommande un livre qui rend hommage à un oiseau disparu. Le dernier des siens commence en effet en 1835 avec le massacre d’une colonie de grands pingouins, sur la petite île volcanique d’Eldey, au large de l’Islande. C’est à travers l’histoire du jeune zoologiste Gus que l’on découvre Prosp, le dernier spécimen ayant survécu. Le récit de cette amitié improbable se dévore ; on y croit, on comprend Prosp et les siens. La force de l’écriture de Sibylle Grimbert est bien là ; avoir rendu plausible la relation entre un jeune homme et un grand pingouin que rien ne destinait à se découvrir. Un double regard de naturaliste et d’être humain rend les deux protagonistes très attachants : “Ce devait être étrange d’être Prosp, d’avoir dû apprendre à vivre d’une façon unique, d’avoir pour ami Gus, un être qui ne parlait pas sa langue et avec lequel jamais il ne se baignerait ni n’aurait de petits.” Mais le livre raconte aussi (et surtout) à travers cette amitié exceptionnelle l’histoire de l’extinction d’une espèce. 

Extinctions, au pluriel cette fois (un pluriel vertigineux), dans le livre poétique et très documenté de Marielle Macé Une pluie d’oiseaux. Ce magnifique plaidoyer du vivant, du vibrant et du beau aborde le constat terrible de la disparition des oiseaux, dont la population s’effondre ; "En quinze ans près d’un tiers des oiseaux ont disparu des paysages (tous types d’environnements confondus).” Par conséquent, les écouter dans l’anthropocène “consiste à prêter l’oreille à des silences autant qu’à des alertes, à jouir de ce qu’il reste de chants et s’en trouver consolés... autant qu’à sentir par ces chants (dont la beauté même nous conteste) notre puissance de saccage”. 

Voler dans les plumes des derniers sceptiques, virevolter auprès des poètes et poétesses, s’envoler avec des philosophes, se libérer en poésie, Une pluie d’oiseaux propose tout cela à la fois, et plus encore, en interrogeant la place de l’oiseau grâce à de multiples références. C’est également une exploration de la langue avec de vraies pépites, comme le mot “murmurations” ; “Murmurations. C’est un mot merveilleux, c’est le mot de l’émerveillement même devant ce qui nous est en effet, ici, comme murmuré par le vol”. Et de lire plus loin : “Avec les oiseaux des verbes passent dans le ciel, des énoncés zèbrent le monde vivant, des propositions surgissent devant, derrière nous, fendent l’air, comme phrasées par la vie elle-même (…)”. 

Et si l’espace de liberté des oiseaux est aussi celui des mots, et donc le nôtre, le préserver est une nécessité commune à l’ensemble du vivant. Cette évidence-là, vitale, peine à être prise en compte par les politiques. Le 12 juillet dernier, le règlement européen de restauration de la nature a été adopté de justesse (51,7% des voix). Cette loi vise à imposer aux États membres de restaurer les forêts, les zones humides et autres milieux marins et terrestres endommagés par les activités humaines...  

 

Barbara Marshall 

Yuval Noah Harari 

Éditions Albin Michel, 2015. 

Yuval Noah Harari 

Éditions Albin Michel, 2022. 

Sibylle Grimbert 

Éditions Anne Carrière, Paris, 2022. 

Marielle Macé 

Éditions José Corti, Collection Biophilia, 2022.