Hier, je suis allée chez le
notaire. Non pour une histoire de famille mais pour être témoin d’une autre
histoire, d’une autre famille… J’ai découvert et lu un acte projeté sur un mur,
puis j’ai signé le document avec un stylet sur un autre écran intégré à un petit
support carré amovible. Le gain de temps par rapport à la
signature classique d'un acte notarié m’a frappée, et le clerc, très
fier de ce système, nous en vantait tous les mérites tout en évoquant le manque
de recul. Nous avons discuté des premiers actes de propriété, provenant du
bassin méditerranéen il y a plus de deux mille ans et qui évoquaient les crus
du Nil ! Un sacré recul pour
ces tablettes de pierre gravée… L’archivage papier a aussi fait ces preuves
malgré quelques ratés par le feu ou l’eau ; j’ai en particulier le
souvenir d’archives hospitalières n’ayant pas résisté aux crus de la Seine.
Pourtant, je me suis dit que les
faussaires de tous acabits, les truqueurs des temps modernes, avaient de beaux
jours devant eux : le document n’est plus paraphé sur toutes ses pages, la
signature numérique n’est finalement qu’une image de plus, et surtout,
l’archivage se trouve ailleurs, pas dans un « cloud », nous a assuré
le clerc, ailleurs quand même… Un acte « authentique », c’est-à-dire
reconnu par la Loi, se retrouve mystérieusement dématérialisé et dès lors que
le processus enclenché aboutit, la preuve de sa réalisation se situe dans un
hangar numérique ? Sous prétexte de technologie et de progrès, nous
acceptons donc d’externaliser notre mémoire ?
Mon sentiment de malaise
persistant, je me suis interrogée
aussi sur la place de l’écrit dans ce nouveau système, et elle m’a semblé en
péril. L’évanescence de la trace ! Un notaire reste après tout une
référence en France pour ce qui est de la garantie des informations. Le même
jour, un ami me demande de modifier mon commentaire sur une publication sur
Facebook, ce que je fais car il était trop incisif. Au final, j’efface totalement
la phrase que j’avais écrite quelques heures auparavant. Evanescence
encore ! L’écrit qui auparavant assurait une forme de pérennité à la
pensée serait menacé, non de disparition mais de perte de stabilité. En tout
cas, ce n’est pas l’évanescence de l’écrit qui pose problème, mais bien plutôt
l’idée de mémoire fiable au cours du temps. Je n’ai pas les réponses sur
l’évolution de notre civilisation alors que les questions foisonnent. La
numérisation glorifiera-t-elle la mémoire des vainqueurs en effaçant celle des
vaincus ? Les fake news prendront-elles une envergure incontrôlable ?
La question de la mémoire individuelle et collective est au centre de l’Histoire
et ses implications nous projettent au cœur du 21ème siècle. Nietzsche
n’écrivait-il pas (oui, on le sait parce qu’il écrivait sur une feuille de
papier !) : « L'homme de
l'avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue. »
Barbara Marshall