Tout comme une virgule modifie la diction d'une phrase et par conséquent sa respiration, lorsqu'un mot est mis à la place d'un autre, l'ensemble du sens de la même phrase peut radicalement changer. Une architecture de base où mots et ponctuation forment un ensemble stylistique ? Un module porteur de signes ? La phrase est faite à la fois d'un rythme inhérent (le style de l'auteur) et d'une malléabilité réappropriée par son lecteur. Comme elle dépend également de ce qui l'a précédée et du contexte d'où elle surgit, sa compréhension est possible par une lecture rapide, voire escamotée. C'est là tout le mystère de l'écriture, qui réside dans des heures de composition, de travail, de sueur cérébrale mais dont la réussite, en fiction en tout cas, passe par un mouvement fluide dans l'imaginaire du lecteur.
Ce passage, à travers une page (ou un écran), d'une structure codifiée à une histoire créée mentalement par le lecteur a de quoi surprendre ! Et pourtant, nous le prenons pour acquis depuis Gütenberg. L'appropriation de la fiction, différente d'un individu à l'autre, caractérise la lecture de nouvelles, contes et romans, et transmet du sens à chaque lecture. Le récit n'est pas nécessairement linéaire, du moment que l'espace imaginaire qu'il génère, lui, demeure cohérent. A l'heure des télécommandes, des réseaux sociaux et de la pub, cet espace est plus que jamais nécessaire ; c'est celui d'une transmission, d'une pensée à une autre, d'un espace à l'autre. La magie de la littérature s'affranchit des temps et des lieux, elle opère un dialogue indicible et fait acte de culture en diffusant dans les esprits. Contrairement aux images assénées par la publicité, le récit requiert l'accord du lecteur et sa participation active. Il nécessite aussi que l'espace récepteur soit ouvert, et c'est sur ce point que nous devons rester vigilants collectivement. Les livres restent les meilleurs garants de notre liberté de penser...
Barbara Marshall