dimanche 22 octobre 2017

De la légèreté et du mouvement arrêté : au cœur du souffle.


"Perpetually at the Centre"
Claire Morgan expose à la galerie Karsten Greve du 14 octobre au 23 décembre 2017.

Frappée d’emblée par la pose joueuse et folâtre de deux renardeaux, j’ai été happée par l’exposition de Claire Morgan, artiste originaire de Belfast de 37 ans. La première scène s’insère dans un cube ébauché grâce à des centaines de graines de pissenlit suspendues mais ce qui marque l’instant et l’esprit, c’est ce souffle piégé par un effet optique puissant, souffle qui nous ramène au remue-ménage des deux animaux. Aurez-vous, comme je l’ai eue, la sensation de l’air frais du petit matin, des premiers rayons du soleil sur la canopée et des bruissements du réveil animal ? Cette impression de faire partie d’un tout dans l’innocence d’une Nature intacte ? La force de l’art si particulier de Claire Morgan réside dans notre réintégration, certes brève et artificielle, dans les rangs des êtres vivants sur Terre, excusez du peu ! En reprenant notre juste place, nous saisissons (enfin !) toute la magie de cette vie qui se déploie autour de nous et en nous.

 Le parcours se poursuit avec un couple de paons plaqués au sol sous une explosion de papiers colorés. Là encore, cet arrêt sur image nous saisit pour nous extirper de notre condition urbaine. Juste à côté, une chouette hulotte dans une installation intitulée « Lo » vient toucher le sol de sa tête sous une calotte immaculée aussi incongrue que poétique, matière morcelée et transpercée de rais de nylon. Ailleurs, les parachutes miniatures que forment les graines de pissenlit reproduisent l’onde de la chute d’un moineau. Ce mélange paradoxal d’une extrême douceur et d’une mort annoncée nous interpelle, nous fascine par son approche duelle de l’impermanence et de l’arrêt du temps.

Chouette hulotte en pleine chute

Chacune des installations de cette magnifique exposition capture l’instant en faisant appel à la taxidermie et à la reconstitution d’un volume sculpté dans l’espace grâce à des matériaux aériens. Aussi peut-on y voir aussi bien un hommage à la vie par un zoom sur le mouvement arrêté en plein vol qu’un questionnement sur la fragilité de chaque existence.

La poésie de Claire Morgan naît-elle du décalage entre l’animal empaillé et la légèreté de ce qui s’est figé autour de lui ? Ou de la trace dont le spectateur en tant que témoin muet reconstitue la trajectoire malgré lui ? Un dialogue entre ce qui n’est plus et ce qui reste en mémoire résonne, et avec lui, la possibilité d’un nouvel espace, créatif et enchanteur puisqu’il est hors du temps et de la Nature. L’envol, le vol et la chute ne forment plus qu’un bloc consolidé par ce qu’ils ont effleuré avant de quitter le présent. Hors champ, il n’y a plus de représentation. Seul ce qui reste nous importe, et la force de cette exposition réside bien là, dans cette capacité à traduire l’indicible, le cœur du souffle de la vie.

Barbara Marshall

Galerie Karsten Greve
5, rue Debelleyme 75003 Paris