Claire Morgan expose à la galerie Karsten Greve du 14
octobre au 23 décembre 2017.
Frappée d’emblée par la pose
joueuse et folâtre de deux renardeaux, j’ai été happée par l’exposition de
Claire Morgan, artiste originaire de Belfast de 37 ans. La première scène
s’insère dans un cube ébauché grâce à des centaines de graines de pissenlit
suspendues mais ce qui marque l’instant et l’esprit, c’est ce souffle piégé par
un effet optique puissant, souffle qui nous ramène au remue-ménage des deux
animaux. Aurez-vous, comme je l’ai eue, la sensation de l’air frais du petit
matin, des premiers rayons du soleil sur la canopée et des bruissements du
réveil animal ? Cette impression de faire partie d’un tout dans
l’innocence d’une Nature intacte ? La force de l’art si particulier de Claire
Morgan réside dans notre réintégration, certes brève et artificielle, dans les
rangs des êtres vivants sur Terre, excusez du peu ! En reprenant notre
juste place, nous saisissons (enfin !) toute la magie de cette vie qui se
déploie autour de nous et en nous.
Le parcours se poursuit avec un couple de paons plaqués au
sol sous une explosion de papiers colorés. Là encore, cet arrêt sur image nous
saisit pour nous extirper de notre condition urbaine. Juste à côté, une
chouette hulotte dans une installation intitulée « Lo » vient toucher
le sol de sa tête sous une calotte immaculée aussi incongrue que poétique,
matière morcelée et transpercée de rais de nylon. Ailleurs, les parachutes
miniatures que forment les graines de pissenlit reproduisent l’onde de la chute
d’un moineau. Ce mélange paradoxal d’une extrême douceur et d’une mort annoncée
nous interpelle, nous fascine par son approche duelle de l’impermanence et de
l’arrêt du temps.
Chacune des installations de
cette magnifique exposition capture l’instant en faisant appel à la taxidermie
et à la reconstitution d’un volume sculpté dans l’espace grâce à des matériaux
aériens. Aussi peut-on y voir aussi bien un hommage à la vie par un zoom sur le
mouvement arrêté en plein vol qu’un questionnement sur la fragilité de chaque
existence.
La poésie de Claire Morgan
naît-elle du décalage entre l’animal empaillé et la légèreté de ce qui s’est
figé autour de lui ? Ou de la trace dont le spectateur en tant que témoin
muet reconstitue la trajectoire malgré lui ? Un dialogue entre ce qui
n’est plus et ce qui reste en mémoire résonne, et avec lui, la possibilité d’un
nouvel espace, créatif et enchanteur puisqu’il est hors du temps et de la
Nature. L’envol, le vol et la chute ne forment plus qu’un bloc consolidé par ce
qu’ils ont effleuré avant de quitter le présent. Hors champ, il n’y a plus de
représentation. Seul ce qui reste nous importe, et la force de cette exposition
réside bien là, dans cette capacité à traduire l’indicible, le cœur du souffle
de la vie.
Barbara Marshall
Galerie Karsten Greve
5, rue Debelleyme 75003 Paris