J’ai vu la boue dévaler pour
couvrir le dernier brin d’herbe, la moindre parcelle de terre. Les ravines se
creusèrent avant que la masse ne fonde collines et forêts en un magma sombre,
avant que le manteau poisseux n’emporte les vestiges de la liberté sur son
passage. L’uniforme et l’informe réunis l’emportèrent en quelques heures, temps
dérisoire de retour du néant, sur les variations infinies des possibles.
Le soleil se voilait de deuil et
d’un semis de poussières tandis que les nuages éventraient leurs panses de
gouttes violines et que les cicatrices béantes de la terre s’emplissaient de
cette mélasse sanguine. Les oiseaux s’étaient tus, les grillons n’étaient plus.
Seuls les bruits des derniers remparts à la chape monstrueuse, ineffable, s’élevaient
dans le ciel zébré de mauve comme autant de cris de douleur ; les troncs
se brisaient, leur écorce craquait en ricochets, les briques des murs explosaient
sous la pression et le rugissement cruel de la déferlante brune.
Puis vint le moment silencieux où
plus aucun bastion n’était à conquérir. La marée sombre avait gagné ! Des
tourbillons de poussière, d’écorce, de plâtre et autres matériaux ensevelis
s’élevaient en flammèches par
endroits comme autant d’oripeaux de la défaite. J’ai su que c’était terminé,
que plus rien ne s’opposerait à cette vague unique de boue qui asséchait les
replis des vallées. Aucune zone vierge ne subsisterait-elle pour inscrire un
début timide de résistance, ne serait-ce qu’un vague espoir d’autres couleurs
que cette misère universelle ? Alors que le marasme gagnait peu à peu
les strates de nos esprits
engourdis, je me souvins d’une feuille, simple et blanche, un A4 comme on disait, et le souvenir lumineux de ce rectangle devint ma seule porte
de sortie…
B. M.