lundi 15 juin 2015

L'exploration d'une feuille

J’ai vu la boue dévaler pour couvrir le dernier brin d’herbe, la moindre parcelle de terre. Les ravines se creusèrent avant que la masse ne fonde collines et forêts en un magma sombre, avant que le manteau poisseux n’emporte les vestiges de la liberté sur son passage. L’uniforme et l’informe réunis l’emportèrent en quelques heures, temps dérisoire de retour du néant, sur les variations infinies des possibles.
Le soleil se voilait de deuil et d’un semis de poussières tandis que les nuages éventraient leurs panses de gouttes violines et que les cicatrices béantes de la terre s’emplissaient de cette mélasse sanguine. Les oiseaux s’étaient tus, les grillons n’étaient plus. Seuls les bruits des derniers remparts à la chape monstrueuse, ineffable, s’élevaient dans le ciel zébré de mauve comme autant de cris de douleur ; les troncs se brisaient, leur écorce craquait en ricochets, les briques des murs explosaient sous la pression et le rugissement cruel de la déferlante brune.
Puis vint le moment silencieux où plus aucun bastion n’était à conquérir. La marée sombre avait gagné ! Des tourbillons de poussière, d’écorce, de plâtre et autres matériaux ensevelis s’élevaient en  flammèches par endroits comme autant d’oripeaux de la défaite. J’ai su que c’était terminé, que plus rien ne s’opposerait à cette vague unique de boue qui asséchait les replis des vallées. Aucune zone vierge ne subsisterait-elle pour inscrire un début timide de résistance, ne serait-ce qu’un vague espoir d’autres couleurs que cette misère universelle ? Alors que le marasme gagnait peu à peu les strates de nos esprits engourdis, je me souvins d’une feuille, simple et blanche, un A4 comme on disait, et le souvenir lumineux de ce rectangle devint ma seule porte de sortie…

B. M.